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Nouveau réalisme et Nouvelles Lumières _ Partie II

Publié le 06/01/2017 à 20:00 par philosophiesciences Tags : Robert Bernier monde extrait pensée pouvoir sommaire livre carte soi dieu travail fond france roman element pragmatisme vie

 

 

NOUVEAU RÉALISME ET NOUVELLES LUMIÈRES

 (et peut-être un peu pourquoi le Québec ne va nulle part)

Partie II : Jocelyn Maclure

-révisé en date du 15 février 2017

 

 

RETROUVER LA RAISON – Jocelyn Maclure[1]

 

Il n’est pas vraiment possible de résumer le livre de Maclure parce qu’il s’agit de chroniques publiées par cet auteur sur différents thèmes au cours des années 2012 à 2015. Je me servirai plutôt de l’exemple de certaines de ses chroniques pour illustrer la liberté de penser en-dehors de la boîte et des dogmes que conquiert pour lui-même le philosophe qui adhère à cette approche du nouveau réalisme, qui est bien proche de celle du pragmatisme.

 

Dans une chronique intitulée « Le nouveau réalisme comme antidote au cynisme postmoderne » (p. 35-40), Maclure nous initie à l’une des conséquences les plus délétères du postmodernisme : le relativisme qui veut que toutes les idées se valent. Une pensée phare du postmodernisme est le constructivisme en théorie de la connaissance. Nous y reviendrons plus à fond en parlant de l’auteur Ferraris. Je vous passe ici un long extrait de cette chronique, un extrait qui va servir à bien camper le sujet et ses implications éthiques et politiques:

 

« Si je m’intéresse au Nouveau Réalisme, c’est non seulement parce qu’il offre un point de vue ontologique et épistémologique plus satisfaisant que les théories constructivistes, mais aussi car il porte en lui des implications éthiques et politiques…Il nous invite à regarder, autant que faire se peut, la réalité sociale et politique telle qu’elle est, avant de la juger. Pour ne prendre qu’un exemple, la propension de certains progressistes à lire la réalité à travers le filtre d’une critique sommaire du « néolibéralisme » et de la « marchandisation » équivaut à une renonciation de penser les complexités et singularités de notre monde.

 

Ceux qui affirment, tel un slogan, que le vent du néolibéralisme a déferlé sur le Québec au cours des vingt dernières années se voilent les yeux sur le fait que le Québec a réussi à défier la tendance pancanadienne en matière d’accroissement des inégalités socio-économiques. (CPE, congés parentaux, etc.) »

 

Comme on ne prend pas la peine, en général, de décrire ces entités que sont le néolibéralisme ou la marchandisation, de les décrire en disant quels en sont les degrés d’application possibles, et quels en sont les exemples historiques, on voit bien qu’il y a ici un grand potentiel pour une dérive au-delà du réel. Où, sur l’échelle du néolibéralisme et de la marchandisation, le Québec se situe-t-il? Il serait important de le clarifier avant de se demander si le problème est grave et comment le traiter.

 

Et l’auteur de nous livrer une conséquence fatale sur la vie politique de ce genre de rhétorique :

 

« Le problème avec le nivellement de la réalité opéré par certains progressistes est qu’il mène au relativisme et au démissionnisme : il laisse entendre qu’il n’y a plus rien à espérer de la démocratie représentative, qu’il est impossible de distinguer les partis qui aspirent au pouvoir et que les élections sont une mascarade. »

 

Je crois que ce serait le lieu, ici, d’entrer de façon concrète dans le projet de cette série d’articles, soit l’étude du pragmatisme. Dans plusieurs de ses textes, le fondateur Charles Sanders Peirce rappelle que :

 

« Le pragmatisme n’est pas, en soi, une doctrine métaphysique, ni une tentative de déterminer quelque vérité à propos des choses. Il est simplement une méthode visant à assurer la signification de mots difficiles et de concepts abstraits. »[2]

 

La maxime du pragmatisme, telle que présentée par Peirce, donne justement l’essentiel de la méthode :

 

« Considérer quels sont les effets pratiques que nous pensons pouvoir être produits par l’objet de notre conception. La conception de tous ces effets est la conception complète de l’objet. »[3]

 

 

J’ajouterai ici, ce qui fera sans doute l’objet d’un prochain article, que l’expression « effets pratiques » dans la maxime doit être prise au sens le plus large. Dans tous les écrits de Charles Sanders Peirce, elle réfère à tout ce qui peut déterminer l’homme à l’action et elle inclut par conséquent toutes nos notions de logique, d’éthique et d’esthétique : tout un programme, donc, bien plus large que ce que la première lecture du terme entraînerait à penser.De déployer cette méthode résulterait, selon Peirce, en ceci que :

 

« Ça servira à montrer que presque chaque proposition en métaphysique ontologique est ou bien un charabia insensé –un mot étant défini par d’autres mots, et ceux-ci par d’autres encore, sans jamais qu’aucune conception réelle ne soit atteinte- ou soit est simplement absurde; en conséquence de quoi, toute absurdité étant rejetée, ce qui demeurera de la philosophie sera une série de problèmes qu’on pourra aborder par les méthodes et démarches des diverses sciences… »[4]

 

Si les progressistes dont parle Maclure avaient tenté d’appliquer cette méthode, s’ils avaient pris la peine de prendre en main le concept, disons celui du néolibéralisme, de le retourner dans tous les sens, de chercher les caractéristiques et conséquences de son application réelle dans des pays réels, auraient-ils pu conclure que le Québec était un exemple de néolibéralisme? Si l’auteur et conférencier Éric Martin avait pris la peine d’appliquer rigoureusement la méthode à ses accusations de marchandisation de l’éducation ou à son accusation à l’effet que le rapport Demers, comme d’autres actions ou intentions subodorées du gouvernement québécois, visaient à introduire un capitalisme académique dans les cegeps, si, donc, il avait mis en action la maxime pragmatiste, aurait-il conclu aux mêmes complots de la part du gouvernement?

 

À la fin d’une conférence donnée par M. Martin, j’ai fait remarquer à notre conférencier que, pour avoir lu le rapport Demers, je ne l’avais pas trouvé si mal intentionné ni n’y avais trouvé d’aussi sombres complots. Je lui fis remarquer alors que tout ce qu’il dénonçait – marchandisation de l’école, internationalisation de la population étudiante, assurance qualité, financement largement privé de la recherche en milieu universitaire, flexibilité décisionnelle aux niveaux régional et local, renforcement du lien entre la formation et l’emploi (arrimage école-marché) – tout cela donc, et dans le plus menu détail, avait justement été au cœur de la réforme de l’éducation supérieure en Suède en date de 1993, et d’autres pays scandinaves dans une moindre mesure[5]. Et que ça semblait plutôt bien marcher, et que la population semblait plutôt heureuse du résultat. Je lui demandai pourquoi, d’après lui, ce qui semblait fonctionner en Suède, devrait être un mal ici au Québec ? Je m’attendais à ce qu’on me débrouille tout ça.

 

Quelle fut la réponse de notre conférencier ? Hé bien, et c’est bien sûr tout simple, il fallait y penser : c’est qu’il ne faut plus faire confiance à la social-démocratie. Point à la ligne. Non, pas vrai, le philosophe a quand même continué de m’expliquer qu’il n’y avait rien à faire avec le capitalisme et que ce qui semble avoir été une accalmie dans sa sauvagerie – à savoir la social-démocratie Keynésienne – n’aura été que cela, qu’une accalmie, et qu’on le découvrirait sans doute bientôt. Voilà pourquoi, sans doute, il n’y a rien à faire avec nos gouvernements, rien à discuter quant au rapport Demers, etc. Peut-être ne vaut-il même plus la peine de les regarder, ni même de les surveiller.

 

On retrouve ici la conséquence démissionniste bien décrite dans la chronique de M. Maclure. Question : si l’on rejette le capitalisme, et si l’on méprise désormais la social-démocratie, que reste-t-il, mises à part les horreurs qui ont déjà été essayées ailleurs ?

 

Un peu plus loin dans la même chronique de M. Maclure:

 

« La pensée n’est pas spasme, du moins si elle veut être rationnelle. La partie rationnelle de l’esprit a besoin de temps, de faits et d’arguments pour faire son travail. On peut s’inspirer de l’esprit réaliste tout en étant à gauche ou à droite. Il s’agit de laisser la réalité et la rationalité reprendre leurs droits. »

 

Les effets sur la pensée philosophique d’un retour au réalisme, et donc de l’éloignement de l’idéalisme, se voient en diverses autres chroniques de M. Maclure. Parlant des socialistes américains déçus du peu de résultats du président Obama aux États-Unis, l’analyse objective des résultats effectivement obtenus amène Maclure à écrire :

 

« Peu importe que des dizaines de millions d’Américains de plus aient maintenant accès à une assurance maladie, Obama et Romney, c’est du pareil au même. Si c’est ça être progressiste, je ne vais pas renouveler ma carte de membre. 

Et dans un contexte où la droite québécoise s’autoexamine et cherche à se définir, il est impératif que la gauche se soumette au même exercice. … Les pays Scandinaves n’ont pas attendu le Grand Soir avant de construire des sociétés à la fois plus égalitaires et plus efficientes. Entre l’indifférence et la table rase, il reste toujours la possibilité de se battre pour des progrès modestes mais bien réels. » (p. 125)

 

Le retour au réalisme et à l’examen « pragmatique » de la res publica permet au penseur de se détacher de l’emprise de l’une ou l’autre des vulgates de droite ou de gauche telles que je les ai décrites dans l’épilogue de mon ouvrage « L’enfant, le lion, le chameau : une pensée pour l’homme sans dieu ».

 

Ce regard qui prend du recul dans la veine d’une « slow politics » telle que proposée par l’auteur Joseph Heath permet même à M. Maclure de s’attaquer à la vedette de gauche Naomi Klein lorsqu’il nous rappelle que « Klein nous assure que des modestes réformes compatibles avec le capitalisme seront insuffisantes. » (p. 167) Mais le capitalisme outrageant, tel qu’elle le décrit « n’existe pas. Même les États qui ont été les plus transformés par la vague conservatrice du début des années 1980 ne correspondent pas à cette image» (p. 168) Et « Si le « fondamentalisme du marché » doit être rejeté, le refus a priori de se servir du marché ou d’incitatifs économiques pour atteindre des objectifs collectifs doit l’être aussi. » (p. 171)

 

Dans le dernier extrait, la phrase importante était « Ce capitalisme pur n’existe pas. » Si la maxime pragmatiste avait été appliquée, Naomi Klein aurait sans doute écrit des phrases moins percutantes mais gageons qu’elle aurait eu plus de chance de rejoindre des non-convertis, ceux auxquels on devrait en général vouloir s’adresser.

 

Mais pourquoi devrions-nous nous astreindre à une pareille discipline dans le discours? C’est parce que toute la connaissance à laquelle nous pouvons nous raccrocher ne peut naître que de l’expérience. Et ça, nous le savons au moins depuis les Locke, Hume et Kant. Et comment pourrait-il en être autrement si l’être humain est totalement d’origine naturelle, si sa pensée et sa conscience ne reposent sur aucune garantie externe venue d’un arrière-monde divin comme le postulaient les idéalistes depuis Platon? Si l’être humain n’a accès à aucune Idée ou Forme première comme le postulaient les idéalistes depuis Platon? Et qu’il est plausible que l’être humain et sa conscience soient totalement d’origine naturelle, c’est ce que je me suis appliqué à démontrer dans les trois premiers chapitres de mon ouvrage « L’enfant, le lion, le chameau : une pensée pour l’homme sans dieu ». Et cela devrait avoir des conséquences sur la façon de philosopher. La maxime pragmatiste, qui est une méthode, nous indique la voie. Toutes nos réflexions devraient se raccrocher à du concret, à de l’expérimenté. Michel Foucault, qui n’est pourtant pas un adepte du réalisme, dans Les mots et les choses, montre combien les savoirs et langages nouveaux se développent en recherchant et établissant des similitudes, des analogies, entre la chose nouvelle qu’on vient tout juste de découvrir et toutes ces choses et ces idées anciennes auxquelles on s’est déjà accoutumé[6]. Tout vient de l’expérience et doit à tout moment y retourner.

 

Et c’est sur cette opposition de base entre réalisme et idéalisme que je quitte l’ouvrage de Maclure pour passer aux deux ouvrages successifs.



[1] Jocelyn Maclure, Retrouver la raison, Québec Amérique, 2016

[2] C.S.Peirce, Pragmatism, in The essential Peirce, Ed. The Peirce Edition Project, Vol. 2, 1998, p. 400

[3] C.S.Peirce, Comment rendre nos idées claires, Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome VII, janvier 1879, pages 39-57

[4] C.S.Peirce, Ce qu’est le pragmatisme, in The essential Peirce, Ed. The Peirce Edition Project, Vol. 2, 1998, p. 338

[5] Social-Démocratie 2.1, Ed. PUM, 2016

[6] Foucault, Michel, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 2004, p. 32-59